Page 69 - Une Famille Volante
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Les labours de défonçage, lors de l’arrachage des vieilles vignes, se font avec de très hautes char-

        rues actionnées par un câble tracté par deux machines à vapeur situées de chaque côté du champ.
        À la fin de la guerre en 1945, les pistes de la ferme Germain ne sont pas encore totalement libé-
        rées par les militaires. Une armada d’avions vient encore s’y poser : des bombardiers bimoteurs
        de type Martin B-26 Marauder de l’US Air Force. Afin de ramener de France les troupes de FFI
        avant leur intégration à l’Armée française, ces bombardiers sont transformés en transports de

        troupes en fixant deux bancs longitudinaux dans leur soute qui contient habituellement 1 800
        kilos de bombes.
        Tous ces militaires sont alors logés dans la cave de la grande ferme de Mouzaïa. Une certaine
        euphorie s’empare d’eux lorsque, sur ordre de Jacques Germain, le contenu d’une cuve est mis à
        leur disposition. Bien peu d’entre eux auront les idées claires ce jour-là, chose bien compréhen-
        sible après la longue période de privation que tout le monde avait subie.

        Une fois la guerre terminée, la vie du domaine peut reprendre dans de meilleures conditions,
        avec la fin des réquisitions et des restrictions d’essence. En 1945, au départ des Américains qui
        libèrent les pistes de Mouzaïa, Jacques Germain acquiert dans les surplus US des camionnettes
        Ford, Jeep et autres 4x4 Dodge qu’il affecte au fondé de pouvoir M. Alvado, aux différents gérants
        et chefs de culture, en remplacement des deux-roues hippomobiles utilisés pendant la guerre. Le
        dimanche, ces véhicules permettent d’emmener le personnel qui le souhaite passer la journée au
        bord de la mer, à Chenoua-Plage au pied des ruines romaines de Tipasa, ou à Bérard.

        La moissonneuse-batteuse est remise en service. Pour les vendanges à la mi-août, les camionnettes
        permettent d’aller chercher des ouvriers saisonniers au sud de Médéa vers Berrouaghia, ou dans
        les montagnes de l’Ouarsenis vers Theniet-el-Had. Le matériel est modernisé. Les tracteurs Re-
        nault montés sur roues pneumatiques gonflées remplacent les anciens à bandage de caoutchouc.
        Les machines à sulfater se mécanisent, permettant un passage beaucoup plus rapide dans les
        rangs de vignes, certains longs de plus d’un kilomètre. Le domaine est équipé d’une trentaine de
        Caterpillar à chenilles, alignés au millimètre dans leurs hangars jouxtant ceux des avions situés
        aux abords des pistes. Les tracteurs doivent être opérationnels douze heures par jour, ce qui né-

        cessite deux conducteurs qui se relaient. Les caves sont réactivées. L’irrigation des orangeraies
        est mécanisée, et leur traitement est opéré par avion avec des Piper Cub déclassés de l’US Air
        Force. Le miel est à nouveau extrait des ruches.
        NDA : Tous ces détails sur la vie du domaine sont issus de la correspondance de l’auteur avec
        des anciens de Mouzaïaville. Merci notamment à Jean-Pierre Troussard (ancien de l’armée de

        l’Air), dont le père, Pierre, a dirigé les domaines Germain des Brises, puis de Ketelha, de 1937 à
        1950, date à laquelle il a trouvé la mort accidentellement à la suite d’une électrocution lors d’une
        opération d’entretien de la cave.





















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