Page 68 - Une Famille Volante
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MacMillan écrira dans ses Mémoires de guerre : Après ce déjeuner, De Gaulle me demanda ce

        que je comptais faire de mon après-midi. Je pensais aller en voiture à Tipasa pour me baigner.
        Il me demanda s’il pouvait m’accompagner. […] Je me rappelle encore avec plaisir ce curieux
        épisode. Je me baignai nu à la pointe extrême de l’ancienne cité romaine, tandis que de Gaulle
        restait assis sur un rocher, drapé dans sa dignité, en uniforme, avec ceinturon et képi.
        Tandis que leurs résidences urbaines sont ainsi réquisitionnées à Alger, les domaines de la famille

        à Mouzaïaville tournent tant bien que mal, au ralenti faute de main d’œuvre partie à la guerre sur
        tous les fronts.
                                                                                                   ème
        Pierre, le fils aîné de Jacques, est engagé dans l’Infanterie Coloniale. Lieutenant au 13  Régiment
        de Tirailleurs Sénégalais, il participe aux opérations de Tunisie, de l’île d’Elbe, au débarquement
        de Provence, à la libération de Toulon, Belfort, Mulhouse, aux combats de la plaine d’Alsace, et
        ne sera démobilisé qu’en septembre 1945.

        De plus, le rationnement de l’essence rend inutilisable une grande partie du matériel agricole.
        Cependant des solutions sont trouvées grâce aux multiples ateliers de la ferme, un véritable vil-
        lage d’artisans.
        La quasi-totalité des véhicules automobiles, voitures et camions, sont remisés dans la cave de la

        ferme de Ketelha jusqu’à la fin de la guerre. Seules parviennent à rouler quelques voitures adap-
        tées au gazogène : 12 kilos de bois ou 6 kilos de charbon de bois remplacent 5 litres d’essence.
        Les véhicules hippomobiles sont remis en état. Un break tiré par deux chevaux fait chaque dimanche
        matin la tournée des fermes pour emmener ceux qui le désirent à la messe de Mouzaïaville. En
        semaine, il est utilisé pour le service de ramassage scolaire mis en place. (NDA : Les cloches de
        l’église de Mouzaïaville seront transférées en 1966 dans l’église Sainte Bernadette d’Anglet, au
        pays basque, sur une initiative de M. et Mme Pernot).

        Tous les corps de métier sont représentés dans les ateliers autour de La Grande Ferme. Ils assurent
        la logistique nécessaire au bon fonctionnement du domaine.

        L’atelier de mécanique occupe une vingtaine de personnes, sous la houlette de M. Bruat, et as-
        sure la fabrication et l’entretien du matériel (tracteurs, charrues, pompes… ainsi que l’entretien
        des avions avant et après la guerre). Tous les véhicules hippomobiles sont entièrement fabriqués
        par les ateliers de la ferme (deux-roues, breaks, pastières, remorques, charrettes…) y compris le
        charronnage (cerclage à chaud des roues).
        On trouve aussi la forge de M. Pefau et l’atelier de menuiserie occupant chacun trois personnes,
        les ferblantiers-plombiers zingueurs, les maçons-plâtriers-peintres, les comptables, les chefs de
        culture, etc. L’atelier de bourrellerie de MM. Martinez et Kern est aussi très important avec cinq

        personnes nécessaires à la fabrication et à l’entretien des harnais équipant les 350 chevaux du
        domaine. La ferme de Ketelha sert alors de haras, avec une quarantaine de juments poulinières et
        un étalon. Accessoirement les bourreliers fabriquent et réparent les matelas des familles logeant
        sur le domaine.
        Ceci implique la culture de céréales (orge et avoine) pour assurer la nourriture des chevaux en

        service. Pendant la guerre les moissons se font avec des moissonneuses-lieuses tractées par des
        chevaux, produisant des gerbes destinées au battage. En effet, faute de carburant, la moisson-
        neuse-batteuse est remisée dans son hangar.
        En ce qui concerne les orangeraies, chacune dispose d’un puits car il faut arroser les arbres tout
        l’été, avec trois équipes se relayant jour et nuit, s’éclairant pendant la guerre avec des lampes à
        acétylène.

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