Page 47 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Il arrive, en effet, et tous les stagiaires se précipitent, plus ou moins vêtus, pour se pendre aux

        amarres des planeurs qui arrachent leurs piquets et traînent leurs lests. Ils tiendront ainsi durant
        une bonne heure sous une pluie torrentielle et ils empêcheront que les planeurs soient emportés
        par le sévère coup de vent qui les déplacera cependant sur une centaine de mètres.
        Tout ce monde là rit et plaisante ! de vrais lions ! Mes les vrais lions ont une faim de loups ! les
        nourrir n’est pas un mince problème.

        J’ai recours à diverses sources de ravitaillement. L’Intendance militaire se laisse piller de légumes
        secs, patates et pain. Les fermes et les douars des environs fournissent de l’huile d’olives, du lait,
        du vin, des œufs, des poulets, des lapins, des pintades, et des légumes frais. Nous avons capté une
        source à mi hauteur de la grande pente et nous parvenons laborieusement à refouler l’eau jusqu’au
        sommet. Et je passe bien du temps à faire la quête pour payer ce qui ne nous est pas offert.

        Parmi les stages qui se succèdent sans aucune interruption, deux sont strictement féminins. Diffi-
        cile entreprise ! Je ne parviens à m’en tirer que grâce au concours d’Anne-Marie Imbrecq venue
        spécialement de Paris à l’appel du colonel De Brion qui est le solide pilier de ce Centre de vol à
        voile qui ne pourrait exister sans lui.
        Au cours de l’un de ces stages féminins est perdu le seul pilote tombé au Djebel-Kallel.

        Continuant systématiquement l’étude de l’écoulement du vent sur chacun des profils très variés
        des pentes est des falaises, je vérifie ce jour là ce qui se passe en arrière du point que nous appelons
        le gouffre et qui nous fournit, même par vent faible, un puissant ascenseur de service. Je me fais
        donc grimper par l’ascendance du gouffre puis, me ménageant un grand excédent de vitesse, je
        passe en arrière de la crête ou je m’attends à trouver des rouleaux. Ils y sont bien, en effet, et je
        me dégage rapidement pour récupérer la calme ascendance de la pente.

        Dès mon atterrissage, j’expose aux moniteurs que les phénomènes rencontrés en arrière du
        gouffre sont encore pires que prévu et je leur recommande de renforcer la vigilance en répétant
        les interdictions formelles de survol en arrière des marques que j’ai fait disposer au sol pour at-
        tirer l’attention des pilotes.

        Voici déjà quelques semaines, j’ai accueilli au Centre le sergent-chef Momméja détaché à ma
        demande par l’armée de l’Air. C’est un réserviste, il est libérable et il doit nous quitter dans la
        soirée. Dès mon exposé terminé et on ne sait pourquoi, mon pauvre ami Momméja s’envole et
        grimpe à la verticale du gouffre pour entreprendre de répéter mon expérience ce qui ne peut rien
        apprendre de plus à personne. Sans se ménager un excédent de vitesse suffisant, il passe en arrière
        de la crête et se trouve brutalement désarmé devant la puissance considérable des rouleaux.
        Les filles hurlent sur la pente, le ciel est vide de planeur.

        Le planeur désarticulé est figé dans une dune de sable. La vue du sable donne d’abord de l’espoir.

        Hélas, de cette dune de sable affleure un rocher, un seul petit rocher. La tête du pilote a porté sur
        le rocher sans dommage apparent, grâce au casque de vol. Mais son regard est d’une effrayante
        fixité qui ne présage rien de bon. Pourtant, il vit et c’est immédiatement l’essentiel.
        – Va-t’il mourir ? me demandent les filles.

        – Je n’en sais rien.
        Avec d’infinies précautions on parvint à l’approcher du chemin ou une ambulance peut venir le
        prendre.

        Depuis longtemps tout le monde a oublié que le docteur Pétronio est un prisonnier de guerre
        italien. C’est un brillant chirurgien qui dirigeait une clinique à Trieste avant la guerre. C’est un

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