Page 9 - C'est la Faute aux Oiseaux
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premier trimoteur Couzinet, avec Drouhin aux commandes, comme un drame effroyable et j’en
fus malade.
En 1931, l’aviation n’avait pas très bonne réputation dans les familles, les aviateurs y étaient
considérés comme des casse-cou, des rigolos, voir des fous. Dans ce temps-là j’habitais en pro-
vince, une belle province française aujourd’hui érigée en état souverain et conduite vers son destin
par mes anciens compatriotes d’outre-méditerranée. J’habitais très exactement à Mascara, dans
le département d’Oran, en Algérie.
En vous le racontant, je pense à tous ceux qui volèrent avant que le fasse moi même, à tous ceux
qui le font aujourd’hui comme je continue à le faire, à tous ceux qui le feront ensuite et jusque-là
fin des temps.
Aujourd’hui encore, ma mémoire visuelle me restitue ces premières images de la mer et du sol
vus d’avion, cette mer et ce sol qui basculent autour de l’appareil et m’obligent à tourner la tête
en tous sens pour ne pas perdre une miette de l’extraordinaire spectacle. Je crois que le chef-pi-
lote Villette s’est fait plaisir ce jour là mais je suis certain que mon propre plaisir était bien plus
grand que le sien.
Après l’atterrissage nous avons continué à parler d’avions et c’est dans sa voiture que j’ai rega-
gné Oran. Je me gardais bien de souffler mot a ma famille de ma passionnante expérience, car je
n’avais rien à espérer de bon des réactions que pourraient produire ce genre de confidence.
Pourtant, de son côté et pour d’autres raisons que les miennes, ma famille s’intéressait aussi à
l’aérodrome d’Oran-la-Sénia et faisait preuve d’autant de discrétion que moi même sur ce sujet
brûlant.
Chacun sait qu’il fait chaud l’été en Algérie, mon habitude était donc de passer l’été à l’Îsle aux
moines, dans l’admirable golfe du Morbihan. La Bretagne est mon pays par toute ma famille
paternelle, comme l’Algérie est mon pays par toute ma famille maternelle.
Au seuil de l’été 1931, mes parents étaient excédés par mes irréductibles velléités aéronautiques
qui, paraît-il, nuisaient grandement à la bonne marche de mes études. Ils pensèrent me délivrer
de ce handicap en me faisant embaucher comme apprenti-mécanicien sur l’aérodrome d’Oran-La
Sénia ou il fait si bon sous les tôles ondulées des hangars en juillet, août et septembre.
Le premier résultat fut qu’ayant rapidement adopté le bouchon gras que j’étais, les mécanos
d’aviation m’apprirent la maintenance des appareils, ils m’apprirent surtout à respecter et à aimer
un métier qu’ils honorent… et à les aimer eux même, par dessus le marché !
Le second résultat fut que, m’ayant eux aussi adopté, les pilotes se débrouillèrent pour que je
puisse voler avec l’un d’entre eux, le chef-pilote Albert Monville. J’entrais ainsi dans une frater-
nité alors très vivante dont je ne sortirai qu’en quittant ce bas monde.
Il faut songer que c’est seulement vingt-quatre ans plus tôt qu’Henri Farman avait bouclé le
premier kilomètre en circuit fermé et ainsi établi un record du monde.
Voilà le moment de ma vie ou commencent ces historiettes que je vais vous raconter. Je vais vous
les raconter à l’occasion du cinquantième anniversaire de mon premier brevet de pilote d’avion,
voici en effet un demi-siècle que je vole aux commandes d’avions très variés qui, pour moi, sont
tous des avions de plaisance.
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